• Autre chose... vraiment ?

    Lorsque j'ai appris la naissance du mouvement Tout Autre Chose, ma première réaction a été de songer : « encore un mouvement de plus… » Et en effet, il en existe déjà une constellation qui s'efforce de se rallier un maximum de gens pour des causes qui les intéressent au premier plan. Un potentiel d'énergie dévolu à un mouvement, à une cause. Cela semble logique.

    Pourtant, que d'énergies, de bonnes volontés dispersées. Je ne comprends toujours pas pourquoi les noyaux créatifs tiennent tant à se démarquer de ce qui existe et lutte déjà pour une cause semblable.

    Ce phénomène concerne tous les domaines. Et l'on peut constater que, plutôt que se rallier à un groupe, une association qui compte déjà des centaines, voire des milliers d'adhérents, à chaque fois un nouveau groupe, un mouvement nouveau-né préfère sortir des rangs et lutter à son tour, en parallèle, sur ses propres rails. La diversité, dans ce cas, c'est bien, c'est beau, mais à mon sens, cela demeure vain.

    Prenons un premier exemple, dans le domaine environnemental. Nous pouvons facilement dénombrer des dizaines d'organismes entrés en lice depuis des années, pour la cause écologique, avec plus ou moins de succès. Celle-ci ciblera plutôt la protection de la biodiversité, la défense de notre écosystème, telle autre s'activera contre le nucléaire, la pollution des sols et des eaux, etc. Imaginons un instant que, face au pouvoir, toutes ces associations fassent corps sous la bannière d'un seul mouvement. Or chacune de ces associations tient à son secteur et n'entend guère se fondre au sein d'un bloc, celui dut-il accroître le poids de ses revendications.

    Un second exemple concerne le secteur social et économique où nous retrouvons le même phénomène. Quel que soit le secteur nous pouvons faire le même rapprochement entre ce qui existe et se qui se trouve formidablement dispersé, l'éparpillement faisant toujours la force des gouvernants qui ne trouvent devant eux aucun contre-pouvoir suffisamment incitateur, voire dérangeant.

    Même très rapide, ce constat révèle néanmoins que l'ensemble des associations – quelles qu'elles soient, ne luttent que contre des effets, s'acharnent sur des conséquences. Mais ce déploiement d'efforts est voué à vivoter, bon an mal an, sans jamais parvenir au but final. La raison en est que ceux-ci ne s'attaquent nullement à la cause première des problèmes qui les motivent à se mobiliser, avec foi et générosité mais en perdant invariablement de vue la source unique, en amont, des conséquences contre lesquelles ils tentent d'apporter des solutions.

    Soit nous sommes devant un grave problème au niveau de nos valeurs, soit nous sommes victimes d'un défaut d'information par surinformation, confrontés que nous sommes à un flou sociétal qui nous empêche de situer la véritable origine de ce qui provoque une cascade d'effets de toutes natures dans tous les domaines, nous incitant un jour à prendre le mors au dent et à nous engager dans des actions que nous considérons vitales et qui devraient pouvoir changer la face du monde.

    A partir de là, il faut bien évidemment recruter, racler des fonds de tiroirs pour obtenir les moyens financiers afin de se faire une place dans le monde médiatique, pour organiser un programme d'activités. L'idée première étant que le nombre d'adhérents sera gage de crédibilité auprès des autorités dont il est toujours espéré un sursaut de bon sens et d'intérêt pour la collectivité. Ce qui n'est pas tout à fait faux. Lorsque certains organismes deviennent trop turbulents, il n'est pas impossible qu'ils soient infiltrés, « récupérés » par le pouvoir qui n'aime pas trop qu'on lui rappelle qu'il doit être au service du peuple et non l'inverse.

    Tant qu'un organisme ne constitue pas un réel contre-pouvoir puissant, les dirigeants tolèrent que l'on s'agite de toutes sortes de manières. Que peuvent-ils craindre puisqu'ils détiennent tous les moyens susceptibles d'étouffer rapidement, violemment, ce qui risquerait de faire vaciller leur pouvoir sur les bases du consentement populaire.

    Au sein de nos mouvements nous aimons nous convaincre que nos efforts seront payants, qu'ils seront compris à leur juste valeur par les élus et que ceux-ci, grâce à l'exemple offert par le peuple, embrayeront à leur tour dans le même sens. On ne fait pas plus naïf.

    Qui n'aime pas croire en celles et ceux qui nous promettent monts et merveilles, dont nous pouvons espérer un petit appui ? C'est humain. C'est tellement humain que nous sommes devenus aveugles.

    A mon sens, il est nécessaire que les organismes engagés dans une lutte sociale, politique, économique, environnementale perdurent dans leurs actions, c'est certain, mais ce qu'ils devraient tous mettre au tout premier plan de leurs actions, ce dont ils ne devraient plus ignorer dans leurs débats et projets c'est l'éducation populaire à la vraie démocratie. L'origine de la plupart de nos problèmes se situe à ce niveau, autrement dit celui de notre Constitution intronisant les pleins pouvoirs à des carriéristes qui en deviennent nos maîtres et qui décident de tout ce qui nous concerne, notre vie durant, sans jamais que nous ayons les moyens d'y mettre le holà.

    Nous tous, qui souhaitons passer à autre chose, qui voulons certainement d'une démocratie qui ne soit pas une forfaiture, c'est pour ce motif que nous devrions nous liguer plus que jamais et inclure le thème démocratique, constitutionnel dans tous nos débats.

    Il est clair que toutes les associations souhaitent pouvoir sensibiliser et se rallier des centaines, des milliers de nouveaux membres. Elles font le maximum pour y parvenir, mais sans succès : trop de voies de garage, trop de distractions, trop d'énergies gaspillées à des actions sans lendemain ou qui suscitent elles-mêmes un impact négatif, trop d’œillères qui demeurent fixées au sein des noyaux organisateurs de ces mouvements qui ne prêchent que pour leur chapelle, guigne leurs seuls propres intérêts, et, leur bonne conscience les conforte dans la légitimité de leur combat.

    Depuis trop longtemps déjà, nous nous perdons en palabres à n'en plus finir sur ce qui a déjà été maintes et maintes fois débattu. Les plus engagés, qui « rament » depuis des années dans leurs groupes, n'atteignent qu'une infime part des citoyens, parmi une multitude qui ne se sent pas concernée puisque l'engagement pour telle ou telle cause n'intéresse pas forcément directement tout un chacun. Question de valeur, encore une fois. On parvient à rassembler sans peine des millions de gens autour d'un stade, et péniblement quelques centaines lors d'une manifestation pour le droit de vote des étrangers.

    Or, ce que nous perdons de vue, c'est qu'il nous faudrait avant tout engagement, apprendre à redevenir de vrais citoyens, à mettre au centre de nos préoccupations l'exigence première d'une réelle démocratie, d'une réelle égalité politique et d'une réelle justice, cela pour mettre en place, non un nouveau parti, non un nouveau mouvement mais un nouveau type de fonctionnement de société – à partir du niveau local d'abord, qui implique la participation incontournable de la population, ou du moins de la majeure partie, ce que jamais aucune association ne parviendrait à faire.

    Pour changer quoi que ce soit il faut des idées, il faut des analyses, il faut des citoyens, de vrais citoyens, qui prennent conscience de leur responsabilité et peuvent réellement prendre part dans la marche du monde dont ils espèrent l'avènement. Cela passe par la démocratie.

    Le moyen pour y parvenir s'appelle le tirage au sort d'une assemblée constituante. Autrement dit les bases d'un retour à la vraie démocratie (ce que l'on évite évidemment de nous apprendre à l'école…).

    En nous attaquant à la cause première, c'est à dire à la cause de toutes celles qui en découlent inévitablement (l'effet domino), en créant des « ateliers citoyens constituants », en apprenant en quoi consiste une saine démocratie, en étudiant et en nous instruisant, en cessant de croire que les élections peuvent changer quoi que ce soit, en réapprenant à nous parler les uns aux autres, en nous massant autour d'une seule idée qui devrait mettre tout le monde d'accord : celle d'une bonne constitution qui réinstallerait à l'avant-plan la souveraineté populaire, nous aurions alors une plus grande chance de voir se profiler à l'horizon cet « autre chose » que nous souhaitons ardemment. Car tout se tient.

    En remontant la chaîne des innombrables causes pour lesquelles nous nous éparpillons, nous parvenons immanquablement à la toute première : notre impuissance politique. Dès lors, pourquoi ne pas apprendre à en reconnaître l'origine, apprendre pourquoi les révolutions sont toutes des échecs et pourquoi la « démocratie » dont on nous rebat les oreilles doit nous apparaître sous son vrai jour : une sinistre farce, une escroquerie qui nous concerne réellement tous, quelles que soient nos valeurs.

    A ce sujet, les réseaux sociaux sont une arme de choix, à associer aux récents essais signés par d'éminents auteurs, à mettre en parallèle au réseau Internet qui fourmille d'outils éducatifs que nous ne devrions plus négliger, tant que le pouvoir permet qu'ils existent. Mais cela ne tient jamais qu'à nous tous. Du moins si notre avenir citoyen nous préoccupe assez.

    Question de valeur.

     

     

     

    Intelligence ou instinct de survie : dilemme »
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